9.5.2012, Luc-Olivier Erard, New York
En guerre contre la malbouffe et la finance, un ex-banquier rêve de faire de son poisson d’appartement un must des tables new-yorkaises.
«C’est l’eau des poissons ou celle des fleurs?» Henry, 7 ans, est un peu déboussolé. Des pousses de basilic à la main, il navigue entre des bidons, des containers et des aquariums. Christopher Toole, la cinquantaine, barbu, flanqué d’un grand chapeau, désigne, au milieu du fourbi, le récipient adéquat, tout en rappelant au bambin de bien se laver les mains avant de s’occuper des plantes. Bienvenue à The Point, le centre communautaire de Hunts Point, dans le sud-est du Bronx, à New York.
Dans ces anciens ateliers entourés de barbelés et d’autoroutes, des travailleurs sociaux accueillent les enfants du quartier après l’école. Aucun coin de verdure à l’horizon. En ce soir d’hiver, le petit Henry se familiarise pourtant avec la culture simultanée de basilic et de tilapias. Ce poisson africain s’acclimate à merveille dans… d’anciennes poubelles. Une idée de Christopher Toole, ancien cadre bancaire qui a changé de vie après la crise de 2008.
Local, sain et bon marché
Fils d’un biologiste marin, et lui-même connaisseur de la mer, l’homme quitte les tours du centre de Manhattan et se tourne vers l’aquaponics (lire encadré ci-dessous), une nouvelle tendance comme seuls les Américains savent en produire. A savoir la culture de plantes hors-sol en symbiose avec des poissons, dans un environnement urbain, grâce à du matériau de récupération. Après avoir commencé cette expérience dans sa cave, Christopher trouve refuge dans les locaux de The Point, en échange de quoi il dispense des cours aux enfants. Dégoûté des errements de l’industrie, l’homme reste New-Yorkais dans l’âme. Son objectif: «Produire moi-même, localement, une nourriture saine et bon marché», sans avoir à s’exiler dans les plaines du Midwest, et cela grâce aux cultures aquaponiques.
Le soir, outre les enfants du quartier, Christopher Toole accueille fréquemment quelques passionnés qui viennent, parfois de loin, bénéficier de son expérience. Parmi eux, David, débarqué tout droit de Montréal, qui se dit «convaincu que l’activité sera, un jour, viable économiquement». Car si Brooklyn, autre arrondissement de New York, s’est déjà fait une renommée en matière de jardinage urbain et d’expériences culinaires, Christopher Toole veut aller encore plus loin dans le Bronx en mettant les tilapias de Hunts Point au menu des grandes tables de Manhattan!
Quelques fois par an, les plus ventrus de ses pensionnaires sont ainsi pêchés et directement livrés à la cuisine du centre communautaire, qui les apprête en filets. Les enfants vont ensuite chercher dans les plus petits bacs les alevins de la génération suivante. Un jour, peut-être, on pourra de nouveau pêcher dans la Harlem River sans risquer l’intoxication au mercure. Mais, en attendant, le tilapia bio façon Bronx fraie dans le plus improbable des laboratoires.



