Charlotte Brives

Article : L'invitée

«L’antibiorésistance est un problème en devenir»

5.3.2024, Propos recueillis par Yannis Papadaniel / Crédit photo: Stéphane-Burlot

Pour l’anthropologue Charlotte Brives, recourir à des virus «mangeurs de bactéries» serait une réponse innovante possible pour traiter des infections. Entretien.



Les êtres vivants les plus petits ne sont guère passifs face aux manipulations humaines, tel est le constat de Charlotte Brives. L’anthropologue travaille depuis plus de quinze ans sur la production et l’utilisation des savoirs sur les relations entre les humains et les microbes, que ce soit dans les laboratoires de biologie ou dans le développement de thérapies, dans la lutte contre le sida notamment. L’antibiorésistance est au centre de ses préoccupations de recherche. Elle a publié Une écologie politique des microbes, ouvrage paru en 2022 aux Éditions Amsterdam.

Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur ce sujet? En 2016, j’ai découvert l’existence des virus bactériophages, des virus «mangeurs de bactéries», et dans le même temps l’une de leurs utilisations possibles, à savoir la thérapie phagique: recourir à ces virus pour tuer des bactéries responsables d’infections. Face à la montée en puissance de la résistance des bactéries aux agents antimicrobiens, les phages apparaissent alors comme une réponse possible.

On manque de données pour mesurer l’ampleur, mais des estimations publiées dans The Lancet (janvier 2022) arrivent à la conclusion que l’antibiorésistance serait à l’origine d’au moins un million de décès dans le monde. Quelles sont les perspectives? Cette estimation, fondée sur des chiffres fiables et sur le travail de nombreuses personnes, indique que rien que pour 2019, un million de décès peuvent être directement imputables à des infections causées par des bactéries résistantes. En 2014, Dame Sally Davies, experte britannique en matière d’antibiorésistance, a rédigé un rapport qui a fait date, faisant mention de la possibilité de 10 millions de morts par an dans le monde à l’horizon 2050. Quelles que soient la robustesse et la pertinence des modélisations existantes, une chose est sûre: l’antibiorésistance est un problème «en devenir».

Est-elle un problème causé par la surprescription d’antibiotiques par les soignants ou par leur usage intensif dans les élevages agricoles? On mentionne souvent le mauvais usage des antibiotiques en santé humaine. D’abord, ceci est très variable en fonction des pays, des systèmes de santé ou de l’accès aux médicaments. Ensuite, quand bien même les antibiotiques seraient
utilisés avec toutes les précautions dans ce domaine, cela n’empêche pas l’utilisation massive de ces molécules dans le secteur agroalimentaire, que ce soit en préventif, en curatif, ou comme promoteurs de croissance. Dans ce dernier cas, l’Union européenne (UE) a interdit l’usage des antibiotiques (la Suisse aussi, ndlr), mais il en va autrement dans d’autres pays pratiquant aussi l’élevage intensif. Ces usages massifs, par la pression sur le milieu microbien, sont en grande partie responsables de l’accroissement de la résistance aux antibiotiques.

«Des changements majeurs sont nécessaires dans les modes mêmes de production et de consommation, y compris au niveau politique
et réglementaire.»

S’agit-il dès lors de limiter la prescription d’antibiotiques et d’en limiter l’usage en agriculture? Les antibiotiques sont devenus des molécules centrales dans le développement de nos sociétés, ce dont on n’a pas toujours conscience. Limiter leurs usages est absolument nécessaire, mais cela implique des changements majeurs dans les modes mêmes de production et de consommation, et donc au niveau politique et réglementaire. L’agriculture et l’élevage intensifs sont délétères sous bien des aspects. L’antibiorésistance n’en est malheureusement qu’une facette. Si des efforts sont faits au niveau de l’UE, on peut considérer que ceux-ci sont insuffisants en soi, dans la mesure où ils ne s’accompagnent pas d’une réflexion et d’une action quant au cœur du problème, à savoir les modes de production.

Il semblerait donc que l’on puisse recourir à ces virus bactériophages pour lutter contre les bactéries résistantes. On a l’impression de découvrir leur potentiel. S’agit-il d’une innovation vraiment récente? Les bactériophages ont été découverts en 1917, bien qu’il ait fallu attendre le début des années 1940 et le microscope électronique pour avoir la confirmation qu’il s’agissait de virus. Dès 1919, ils ont été utilisés pour traiter des infections bactériennes. Pour des raisons complexes et variées, entre autres la possibilité de produire massivement les antibiotiques, leur utilisation a cependant décliné dans les années 1940 jusqu’à presque disparaître en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord dans les années 1970. Ce n’est que dès les années 2000 et surtout 2010 que des équipes de biologistes et d’infectiologues se sont mises à explorer le potentiel de ces virus. Mais bien que l’on utilise des phages depuis plus de 100 ans pour traiter des infections, tout est à faire: les isoler, les caractériser, les purifier pour en faire des traitements utilisables chez les humains, évaluer leur efficacité et leur innocuité au travers d’essais cliniques, déterminer les types d’infections pertinents pour un traitement par phages, mettre au point des schémas thérapeutiques, trouver des modèles de développement adéquats. En ce sens, oui, la thérapie phagique est une innovation thérapeutique.

Finalement, existerait-il à bas bruit une société invisible pour l’œil humain? Les humains et les microbes font plus que cohabiter. Les premiers sont tributaires des seconds pour leur vie et leur survie, ce que l’on tend à oublier quand on ne voit les microbes que comme des agents pathogènes responsables d’épidémies. En ce sens, ils nous apportent énormément. Ce que nous apprend l’antibiorésistance cependant, c’est que nous devons faire attention aux conséquences de l’utilisation des savoirs. Les firmes pharmaceutiques ont extrait les antibiotiques des microbes, ont fait produire à ces microorganismes des tonnes d’antibiotiques qu’ils ont utilisés partout, y compris dans des milieux auxquels ni les antibiotiques ni les microbes qui les ont produits pour les humains n’appartenaient initialement, provoquant des relations nouvelles et de nombreux déséquilibres. L’antibiorésistance est la conséquence de ces actions, le résultat d’une vision du monde dans laquelle les humains pourraient manipuler à loisir les autres êtres vivants sans que ces derniers réagissent.

Soirées d’échange

Discussion avec Charlotte Brives et d’autres expertes au sujet de l’antibiorésistance dans le cadre du projet Consommacteurs de la santé, les 2 et 7 mai prochains.

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